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Margot de Bruxelles « Tu devrais photographier Drücker, tu sais … »

Heureusement des bibelots sagement rangés décorent les étagères du buffet qui sinon pleurerait d’ennui. La tortue en faïence blanche qui trône tout en haut, entre deux vénérables cafetières, marche au petit pas du temps qui passe sans se presser et qui emporte pourtant tout sur son passage, tout d’une vie, petit à petit. Tout d’une vie qu’on aimerait retenir,

Margaux de Bruxelles par david Ken

 

Qui ? : Margot
Où ? : Place Sainte-Catherine, Bruxelles
Quand ? : Je n’avais pas encore vingt ans.
Pourquoi ? : Pour me souvenir
Comment ? : De manière pleinement argentique

Heureusement des bibelots sagement rangés décorent les étagères du buffet qui sinon pleurerait d’ennui. La tortue en faïence blanche qui trône tout en haut, entre deux vénérables cafetières, marche au petit pas du temps qui passe sans se presser et qui emporte pourtant tout sur son passage, tout d’une vie, petit à petit. Tout d’une vie qu’on aimerait retenir, fixer, attacher, stopper, pour que ceux que l’on a aimés autant, ou si peu, ou pas assez, ou si mal, ou par morceaux seulement, rient encore, pleurent encore, s’essuient les yeux et se mouchent en s’excusant, et qu’on puisse encore s’asseoir à côté d’eux, en leur tenant la main, pour papoter avec eux des tous petits riens d’une vie économe. « Quand tu étais petit, mon petit, t’as voulu de suite un appareil photo, avant d’avoir un vélo ». Tu ne parles pas des pellicules, Margaux, un rouleau, un cadeau merveilleux, que je faisais durer, comme un sucre d’orge, ne pas l’user, rêver de l’image développée, la désirer, surtout ne rien gâcher. J’ai encore ça en moi. Quelques cartes postales, coincées sous les baguettes d’ornement des portes hautes, autant de lieux où Margaux n’ira jamais, plus jamais. Souvent les miennes, envoyées de capitales exotiques, presque des fictions pour elle. Plus de vingt ans après sa disparition, je suis toujours accroché en esprit dans la petite pièce à vivre de cet appartement, au quatrième étage d’un immeuble place Sainte-Catherine, à Bruxelles, sur la porte gauche d’un vieux buffet populaire. Cette place où, le corps prisonnier mais le coeur dans les étoiles, Il y avait ma grand-mère choisie, chérie, assise dans son fauteuil trop petit. Elle collectionnait la presse people parce que souvent y figuraient mes photos. Je les lui faisais envoyer. Elle les montrait toute fière à ses voisines qui ne la croyaient peut-être pas. J’étais son petit magicien parti au loin, un gamin des Marolles trop vite grandi. Chaque fois que je retournais à Bruxelles, je ne manquais pas d’aller la voir. Un tour au fromager, au boucher, à la petite épicerie du coin et, les bras chargés de courses, je grimpais les étages quatre à quatre pour faire la bise à Margaux. Elle avait une gentille obsession, une petite idée fixe comme en ont souvent les personnes âgées, un point d’ancrage dans l’océan balloté de ses souvenirs. « Tu devrais photographier Drücker, tu sais ? ». Ça ne manquait jamais. Presqu’une plaisanterie entre nous. Depuis j’ai photographié Drücker, tu sais ? Il parle plus que toi. Je souhaite à tout le monde d’avoir une Mamie de cœur, une amie, une confidente, avec qui parler de tout, de nos secrets, de rien, de choses graves des temps anciens, de choses avec de gros soupirs dedans qui entraînent le regard vers un passé heureux, heureux et disparu, de choses douces et aimantes, de rêveries, des histoires de fesses aussi. Une Mamie de cœur qui vous a choisi et qui montre fièrement vos photos à ses amies, depuis ce temps lointain où Bruxelles rêvait.

 

Extrait du livre « Trait pour traits » en préparation avec Nicolas Gouzy 

 

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